ÉPIPHANIE SOUS LES TROPIQUES
A travers un songe en voyage,
S'en allaient, lents, les trois rois mages,
Repus des dattes d'oasis
Des vieux rivages de Tarsis,
Avec le bruit de leurs gamelles,
Pendues aux bosses des chamelles,
Ayant égaré dans les cieux
L'astre aux noumènes radieux.
Ils allaient, fourbus, diaphanes,
Avec de l'or sans frais de douanes,
Etant venus par le Liban,
Sur les rochers en titubant,
Egarés sans voir les frontières,
Via le pays des galères,
Cherchant dans la fraîcheur de l'eau
La nébuleuse d'un halo.
"Il nous faudra, disait
Nemrode,
Tirer la barbe au vieil Hérode,
Et déchiffrer les papyrus
Des scribes fous de faux lapsus…"
Pourtant, tous en chœur, surent
dire,
Avec comète en point de mire:
"Allez là-bas en Ephrata,
Et ratata taratata…"
On les prenait pour des benêts,
Cherchant la lune en feux follets,
Avec manteaux salis de crotte
Quand ils entrèrent dans la grotte.
Alors l'Etoile de Noël
Eclaboussa la nuit du ciel,
Et du Bébé vint le sourire
Sur l'or, et l'encens, et la myrrhe.
Je m'excuse auprès de Saint Luc
D'avoir blagué santons de stuc,
Et pardon à la Bonne Mère
Si je suis myope au mystère.
Il faut avoir un cœur d'enfant
Devant les chameaux, l'éléphant…
L'un des trois rois venait d'Afrique:
Je l'ai croisé sous les tropiques… (1)
Yves Cariou - 6 janvier 1966
(1) En réalité c'était un chef de village dans la région de Bénaré-Oya, au Cameroun. Mais sous ses pauvres habits il avait une politesse royale et s'exprimait en excellent français. En guise de cadeau, il m'offrit son modeste déjeuner : deux oeufs de poule fraîchement pondus que j'ajoutai aux cadeaux des mages.
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